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The Shape of Water - Guillermo Del Toro

THE SHAPE OF WATER Réalisateur : Guillermo Del Toro Note : 10/10 ‘A POEM INSPIRED BY SOMEONE IN LOVE’

Favori des prochains Oscars qui se tiendront le 04 mars, The Shape of Water est nominé dans 13 catégories. L’histoire se déroule durant la guerre froide. Eliza est femme de ménage dans un laboratoire où un homme amphibien subit des expérimentations. Les deux créatures vont tomber amoureuses l’une de l’autre. Le long-métrage met en avant les opprimés, non seulement des années soixante, mais il résonne énormément aujourd’hui. Eliza est muette. La parole orale est donnée à ses meilleurs amis appartenant à des minorités oppressées. La manière dont est traitée la façon de signer est intéressante. Des sous-titres apparaissent la plupart du temps. Cependant, lorsque le film souhaite appuyer ce que la jeune femme communique, les sous-titres disparaissent pour laisser le spectateur deviner ce qu’elle partage. Un autre subterfuge trouvé, donnant de l’épaisseur au traitement du langage, est la scène où elle demande à son meilleur ami de répéter ce qu’elle signe : « The way he looks at me, he doesn’t see how I am incomplete ». Les deux amoureux privés de parole, parviennent à communiquer leur amour. Les scènes de sexe ne sont pas explicitement montrées puisque nous voyons cette histoire d’amour à travers les yeux d’une héroïne candide. Les tendres allusions suffisent à transmettre la chaleur d’une étreinte.

L’antagoniste incarne quant à lui tous les clichés américains. Il est très grand. Très viril. Avec une femme blonde et deux enfants. Une belle voiture tout juste acquise, il lit « Le pouvoir des choses » assis à son bureau. Toujours filmé en contre-plongée, il est représenté en tant que mâle dominant avide de pouvoir et exerce son sexisme sur les femmes de ménage. Il en devient une caricature de lui-même. Guillermo Del Toro disait au micro de France Inter la semaine dernière : « Le cinéma, c’est la vie et la vie nourrit le cinéma. Si vous n’avez pas vécu, si vous n’avez pas été battu, si vous n’êtes pas tombé amoureux, votre cinéma n’a pas de vie. Et si vous n’avez pas de cinéma dans votre vie, alors votre vie est ennuyeuse. Parfois la vie est plus importante que le cinéma et parfois, c’est le cinéma qui est plus important que la vie. »


En mélangeant différents genres au sein d’une poésie féerique, le long-métrage rend hommage au cinéma. Certaines scènes ne sont d’ailleurs pas sans rappeler l’introvertie Amélie Poulain ou la scène au bord du lit dans Delicatessan. Si Jean-Pierre Jeunet accuse le réalisateur mexicain de l’avoir copié, ce dernier lui répond qu’il s’est inspiré de Terry Gillian. Sans poursuivre cette polémique avortée, plusieurs scènes de claquettes rendent aussi hommage au cinéma muet. Les amoureux se retrouvent d’ailleurs à l’intérieur d’un cinéma aux fauteuils d’un rouge passionnel. Enfin, une scène en noir et blanc qui pourrait apparaître en trop, finit par nous saisir. Le spectateur est emporté dans l’univers romancé et candide d’Eliza. « La forme de l’eau est semblable à la forme de l’amour. Tous deux en sont dépourvus. Vous n’avez pas d’emprise sur la personne que vous aimez, vous en tombez totalement amoureux. L’amour est un sentiment très doux, très souple, mais qui peut tout traverser, comme l’eau ». – Guillermo Del Toro Ainsi le topo de l’eau prend tout son sens dans The Shape of Water. Entre comédie romantique candide et thriller angoissant, Del Toro nous fait tomber amoureux de ses deux protagonistes. L’eau est le fil conducteur du flot tumultueux qu’est le premier amour. En plus d’être l’habitat naturel de l’amphibien, elle métaphorise l’union de deux êtres. Lorsque la jeune femme rêve dans le train, sa tête posée contre la vitre, deux gouttes d’eau de pluie viennent se rejoindre pour n’en former qu’une. La scène de rencontre fait apparaître en premier lieu les yeux de l’amphibien qui cligne des paupières, et là, le spectateur y croit, tant le costume et le traitement en post-production ajoutés au travail remarquable de l’acteur Doug Jones (Abe Sapien dans Hellboy 1 et 2) créent un univers parfaitement crédible. De la colorimétrie à la bande originale du film, nous sommes plongés dans un univers abyssal. Le bleu et le vert sont les couleurs prédominantes lorsque les deux protagonistes sont réunis. Mais ce bleu n’est point froid. Il est doux. Tout se pare d’une sensualité magique dans l’eau. Des couleurs plus chaudes sont présentes hors du laboratoire. Eliza est souvent montrée chez elle lors du lever ou coucher du soleil, appelés ‘instants magiques’. Or, un décor jaunâtre est utilisé chez l’antagoniste, la couleur jaune pouvant être symbole de pouvoir et de folie. La tension monte et du rouge inquiétant apparaît alors sur les portes que le Colonel pousse, envahi d’une furie vengeresse. La musique composée par Alexandre Desplat, nous transporte au sein d’une atmosphère auditive semblable aux profondeurs de l’océan. Les chansons jazz sont d’une tendresse indescriptible. La voix langoureuse de Madeleine Peyroux reprenant La Javanaise de Serge Gainsbourg réussit la gageure d’interprétation de cette chanson : « nous nous aimions le temps d’une chanson ».



Une attention particulière est donnée au rythme. Les sonorités sont dansantes et innocentes lors de la scène d’introduction, mais deviennent terrifiantes dans la deuxième partie du film. La scène où seul le bruit des essuie-glaces résonne dans la nuit, augmente instantanément la tension de l’enjeu dramatique. Si la musique est aérienne, la caméra Del Toro l’est aussi. Semblable à une créature maritime élégante, flottante et sans le moindre soubresaut, elle se balance d’une manière circulaire, tout en suivant aisément les objets mis en avant dans les décors et les gestes des personnages. Parfois au sol, elle se concentre tantôt sur les pieds d’Eliza dansant, tantôt sur des traces de sang. The Shape of Water est un film dichotomique. Le spectateur est bercé par un sentiment amoureux, puis tout à coup agressé par une scène gore où le Colonel s’arrache deux doigts devenus inertes – symboles de son âme pourrissante – ou bien torture le Docteur, un espion russe en plein dilemme moral. Mais Del Toro déconstruit les scènes habituelles de tension du cinéma gangster en les rendant grotesques. Lorsque les Russes et le Docteur se donnent rendez-vous la nuit sous la pluie et crient leur code secret, avec leur manteau et chapeau noirs, tout en se tenant de trois-quarts avec le torse bombé, ils ne parviennent hélas pas à s’entendre, ce qui rend la scène comique. L’univers fantastico-romantique de The Shape of Water est poussé à son point d'acmé jusque dans la dernière scène où le narrateur choisit délibérément une fin heureuse pour la princesse de son conte, contrant la tragédie apparente du scénario. Entre Eros et Thanatos, les deux amants s’unissent une dernière fois à travers un baiser, submergés tout deux par les flots.


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