Dublin Theatre Festival
Je suis allée voir…
MELT
Si j’avais su en me rendant au Smock Alley Theatre mardi 3 octobre dernier, entre un sandwich poulet-mayo avalé en vitesse avant le début de la pièce, et les deux-trois galettes de riz grignotées pendant l’entracte, que j’allais rencontrer L’HOMME DE MA VIE, je ne l’aurais pas cru. Certes, il peut paraître incongru, voire inconcevable, étant donné le tableau que je viens de dépeindre de moi-même dans ma réalité saisissante - c’est-à-dire en tant que gloutonne compulsive -, qu’un quelconque sex-appeal ait pu se dégager de ce corps rempli de galettes bio sans sel et sans gluten. Et c’est vrai, aucun sex-appeal de mon côté. C’est sur la scène plutôt, que les phéromones – mais si, vous savez, les hormones des papillons excités là -, ont foisonné. « Ce fut comme une apparition » comme disait notre cher Flaubert : beau, le corps sculpté, le ton arrogant, l’esprit insouciant, Charlie Maher joue le jeune premier à la Molière, et il fait ça très bien.
L’histoire de mes amours mise à part, j’ai trouvé la pièce drôle, incisive, loufoque. Située à notre époque, elle met en scène un chercheur retranché au milieu de l’Antarctique pour fuir le monde universitaire et ses pressions sociales, à qui se joint pour l’assister le nouvel homme de ma vie. Le cliché véhiculé du vieux bougon bedonnant et solitaire, et du jeune premier qui s’adore… et ça marche du feu des dieux! Leur duo frénétique m’a charmée et bouleversée.
La pièce va crescendo : s’étirant un peu au début, elle devient de plus en plus rythmée, et le public de même, devient de plus en plus hilare. Pendant la deuxième partie, j’ai ri sans m’arrêter, à part pour la séquence émotion de la pièce, où j’ai versé une larme (bon ok c’était un peu plus qu’une larme. Bon, ok, j’étais carrément en pleurs. Du coup c’était hyper gênant, il y avait un grand silence mortifiant dans la salle, et j’avais le choix entre le briser avec un gros reniflement de marcassin ou un bon coup de mouchage dégoulinant à l’Italienne).
Ne se contentant pas d’être drôle et intelligente, Melt convoque aussi des questions d’ordre scientifique et écologique, auxquelles s’ajoute un regard sur les relations, dans le cadre des rapports hiérarchiques du maître et de l’élève, mais également dans les relations amoureuses, en fond de tableau, avec la présence d’un personnage féminin qui n’apparaît qu’à travers des vidéos Skype (modernité quand tu nous tiens). Une arrivée totalement déjantée à la fin de la pièce : un espèce de Golum femelle et sexuellement précoce, apporte également une perspective sur le lien à l’étranger et à l’inconnu, mettant en scène de façon drôlissime la candeur sincère et désarmante du « sauvage » pas encore déformé par la civilisation.
Vous l’aurez compris, les thèmes foisonnent au cours de cette comédie, qui prouve que faire rire et aborder des sujets signifiants n’est pas incompatible, et même peut donner lieu à un mariage des plus harmonieux.
Enfin, l’intimité du charmant Smock Alley Theatre (Essex Quay), tranche avec le sérieux grandiloquent des théâtres classiques à rideaux de velours et à fauteuils rouges. Ici, chacun choisit sa place, dans cette petite salle où le public se trouve en arc-en-ciel, entourant la scène presque entièrement. Sur celle-ci, un décor plus vrai que nature, on se croirait nous aussi dans cette espèce d’abri-chalet-laboratoire avec les comédiens. Leurs doudounes et leurs moonboots nous plongent dans l’ambiance. On a froid pour eux. On souffre quand ils souffrent, on gazouille quand ils sont heureux. On oublie tout et on se laisse porter par la force enchanteresse de la pièce. Une vraie expérience cathartique comme on les aime. On en raffole et on conseille, à consommer sans modération !
Melt
De Shane Mac an Bhaird, mise en scène par Lynne Parker
30 septembre au 3 octobre,
6-7 Exchange Street Lower, Temple Bar, Dublin 8
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